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[JULES BENARD] L’abbé Toutoute, père Lebrun, père Félix… Nos curés du vieux lycée

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​Félix Rivière nous a quittés. J’aurais pu, en apprenant avec désolation son décès, ne rédiger qu’un hommage. Hommage que je lui rends très volontiers au demeurant car ce fut un homme proche des jeunes. J’ai choisi de parler de tous ces curés du temps du lycée, qui tentèrent tant bien que mal de nous aider à distinguer le bien du mal… tâche ardue, je dois l’admettre. Akoz nous navé rien qu’ la malice dans l’coco.
[JULES BENARD] L’abbé Toutoute, père Lebrun, père Félix… Nos curés du vieux lycée
De 1958, date de la fois où j’ai posé le pied pour la première fois dans le vieux lycée Leconte-de-Lisle de la rue Jean-Chatel, jusqu’en 1966, date de mon Bac en philo, comme on disait alors, en ai-je vu défiler, des curés chargés de lessiver un peu nos âmes de leur noirceur de potaches inconséquents et diaboliques, pourquoi ne pas le dire !

Autres temps, autres impératifs… L’instruction religieuse, alors, était au programme officiel de toutes les classes. Oh ! pas plus d’une heure par semaine, le même temps restreint que le dessin avec madame Treille, la musique avec Cabart puis Tournesol, le travail manuel avec Fruit-à-pain. Nos potes Zarabes en étaient dispensés, de même que les amis issus du Cercle tamoul. Ce qui n’empêchait nullement nos copains les Malbars d’assister aux cours d’instruction religieuse.

L’affaire était soigneusement au point. Pour parachever cette instruction religieuse catholique, il y avait la messe du dimanche matin, impérative si l’on voulait avoir droit aux croissants du petit déj’ dominical ! Cette messe était célébrée dans la petite chapelle sise à l’arrière de l’église de L’Assomption, et à laquelle on ne pouvait accéder QUE par la cour du lycée. Nous y étions chez nous. Vous ai-je dit que les pensionnaires, de tout temps, ont considéré que le lycée était un peu plus à eux qu’aux autres ? Normal, nous y étions vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nous.

Il y avait là également une petite bibliothèque à caractère strictement religieux, Vie édifiante des Saints, Bibles pour pas cher, Evangiles, revues toutes plus catholiques les unes que les autres… Cette bibliothèque et la Chapelle étaient le domaine sans partage de L’Abbé " Toutoute ", autrement dit le vénérable et très respecté Monseigneur Mondon.

Le premier curé, premier chargé de l’entretien de nos âmes perverses, fut le père Woilez, dont la barbe, alors, était encore noire. Ce fut lui qui nous apprit que Jésus ne parlait pas la même langue que les juifs. Chose curieuse, Jésus s’exprimait en araméen. On mit des décennies à comprendre le pourquoi de la chose : Jésus (je n’ai pas dit " le Christ ") était de la secte des Esséniens, un groupe de grands Initiés guérissant par la force de l’esprit et doués de la faculté de léviter. Ce dont je conclus, bien des décennies plus tard, que ce qu’il y avait de miraculeux, dans Ses miracles… c’est que ce n’en était justement pas ! C’est ma conclusion et je sens que je vais encore me faire incendier, là.

C’est le père Woilez qui, en 1959, nous entraîna aux épreuves et neuvaines préparatoires de la " grande communion ", que l’on disait solennelle, laquelle fut menée à bien dans la petite chapelle de l’Assomption par monseigneur Guibert, communion suivie dans la foulée de la Confirmation. Le tout fut possible grâce à de sévères accrocs à notre programme pédagogique " normal " et avec le concours actif du proviseur Zéphirin. C’est qu’on ne plaisantait pas avec le bon Dieu !

Après le père Woilez, nous accueillîmes avec un inexprimable bonheur le père Lebrun. Un grand costaud barbu et ricaneur. Ca c’était quelqu’un : il jouait de la guitare ; connaissait les chansons de Johnny Halliday ; mais chantait aussi celles du père Laval, " la calotte chantante ", disait Brassens) ; pilotait un petit avion de tourisme de l’aéroclub Roland-Garros (c’est lui qui m’emmena pour la première fois effectuer un petit vol au-dessus de Grande-Montée) ; nous faisait des séances de cinéma 8 m/m ; entraînait les jeunes du Lavoir de la Providence aux joies et délices de la pelote basque ; et était surtout doué d’un redoutable sens de l’humour.

Un jour, Jean-Yves Grondin lui demanda ce que signifiait l’amour. Le père lui demanda de quel amour il parlait " car le chat aime la souris lui aussi ". Jean-Yves n’a pas moufté.

Nous avons eu le père Francis Rochefeuille, dont je ne saurais mieux parler en disant qu’il avait des mines de prélat onctueux. Un curé de la bourgeoisie, en somme.

Un jour, il tenta de nous expliquer les subtilités du péché originel. Ce filou de Daniel Lauret, plus tentateur qu’un diablotin, me souffla de lui poser une question. Car il préférait passer ses turpitudes aux autres, ce c… Et nous, comme des c… aussi, on marchait. Pas bégueule pour un rond, je me lançai :

" Mon père, pourquoi serions-nous coupables des erreurs de nos ancêtres ? " Lui, armé de sa dialectique soi-disant imparable, me répliqua avec un sourire fielleux taillé sur mesure pour impressionner les mécréants : " Parce que lorsqu’on empoisonne une source, toute l’eau qui en sort est empoisonnée ".

Prends ça po toué, ti-Jules !

J’aurais dû fermer ma grande gueule mais c’eût été trop simple…

" Mon père, lorsque l’eau descend vers la mer, elle passe à travers des couches de terre, de roches, de sable, parfois de charbon. Arrivée en bas, elle est pure ".

Le père Rochefeuille m’a banni de son cours d’instruction religieuse un mois durant.

Tout autre était Félix Rivière. Un homme d’une gentillesse, d’un abord de grande aménité. Le sourire perpétuellement imprimé sur ses traits, en même temps qu’une grande douceur, telles étaient ses marques de fabrique et sa génétique personnelle, si je peux dire.

Mais s’il aimait rire, plaisanter, il était aussi très loin de l’humour du père Lebrun (qui s’est défroqué quelques années plus tard). Le sourire et la gentillesse étaient là pour nous mettre en confiance et ça fonctionnait.

Les rapports avec le père Félix ne concernaient pas que les choses de la religion. Ce prêtre accueillait volontiers les âmes en peine. S’il écoutait patiemment les jeunes lycéens venus lui confier leurs doutes métaphysiques, lui parler de leur foi chancelante, il était aussi un consolateur de premier choix pour les lycéens affligés de problèmes plus terre-à-terre, pauvreté, chagrins d’amour, solitude au milieu des autres, mises à l’écart pour diverses raisons. C’est que le milieu était impitoyable pour les signes trop distinctifs de différence et cela n’a guère changé depuis.

Ainsi Emile Vélia, brave Yab originaire de Plaine-des-Palmistes, un grand un peu gras qui était l’objet de toutes les brimades. Il en était lus malheureux que les pierres du fond de la rivière Saint-Denis et s’en ouvrit un jour au père Félix. Lequel fit tant et si bien qu’il le requinqua totalement mais, surtout, lui donna un conseil de poids : transformer sa graisse en muscles !

A la fin des vacances suivantes, Emile revint au lycée totalement transformé : de gros bibendum il était devenu une espèce d’athlète aux biceps impressionnants. Le premier qui osa le charrier se prit un de ces p… de pain dans la tronche et à compter de ce jour, on flanqua à Emile une paix royale.

Personnellement, j’adorais les cours d’instruction religieuse et rendais mes compositions triùmestrielles avec une bonne foi (c’est le cas de le dire) touchante. Car le Prix annuel d’instruction religieuse était aussi convoité que ceux d’éducation physique (que je n’ai jamais eu… je le dis avant que quelqu’un s’en charge), de philo, de sciences naturelles… Inutile de préciser, je suppose, que l’année où je fus sous la férule du père Rochefeuille, ce prix que j’avais régulièrement, je pus à l’aise me brosser !

Père Félix fut absent un bon bout de temps de La Réunion, pour apporter aide et réconfort aux Réunionnais de Paris. Puis, à son retour, il occupa diverses fonctions, dont la charge de prêtre de la paroisse de La Rivière dont je suis originaire. Ce fut à cette occasion que je pus le revoir : il n’avait pas changé d’un iota ; son sourire était juste un peu plus chaleureux. Nous eûmes alors l’occasion de nous livrer à de longues et passionnantes conversations où la religion ne tenait pas forcément le premier rôle. Il avait son ministère de la foi à accomplir, bien sûr, mais le bien-être, plus généralement, de ses paroissiens, l’affectait tout autant.

Aujourd’hui, avec la laïcité obligatoire, les cours d’instruction religieuse ont disparu des programmes des collèges et lycées. C’est une bonne chose. Après tout, lorsqu’on m’a baptisé, on n’a guère sollicité mon avis.

Ce qu’il faudrait plutôt, ce serait des cours d’instruction " des " religions. Qu’une fois parvenu à l’âge mature, le jeune puisse choisir au lieu de se laisser imposer une religion… sinon pas de religion du tout, ce qui est aussi honorable. Mais là, j’ai plus l’air de prêcher… pour ma chapelle.

Salut à toi, père Félix. Quelles qu’aient été nos évolutions individuelles, même ceux qui sont devenus de parfaits mécréants, incrédules militants et autres, ne conservent de toi que la générosité de ton sourire et la chaleur de ta main.

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