Le caïd et les pieds nickelés - Correctionnelle Sud – Jeudi 30/11/2017
Tout y est : le chef, la petite-main et les faire-valoir. Pour une affaire qui dure depuis plus de sept années maintenant. Jean-François, la cinquantaine athlétique, ne travaille pas et ne l’a jamais fait. Trop fatigant. Pour monter sa petite entreprise pseudo agricole qui, loin de connaître la crise, va aller de succès en succès, il élimine la partie plantation. Trop long et trop voyant. La transformation, voilà l’avenir du zamal ! Plus rémunérateur, plus discret aussi.
Voilà, ça c’est de la diversification !
Il va donc acheter la matière première, le zamal : les producteurs ne manquent pas. Ensuite, à l’instar des industriels de l’agroalimentaire, il va s’occuper de la valeur ajoutée. Et de la vente.
Il va diversifier ses activités en proposant trois produits aux nombreux clients. Vraiment nombreux : on retrouvera pas moins de 651 adresses téléphoniques dans son répertoire portable. Monsieur n’a sans doute pas pensé que ça pourrait intéresser quelqu’un un jour et les enquêteurs se sont pourléché les babines en tombant sur cet indic muet mais combien bavard.
Sa première vente porte sur le zamal tout bête, tout simple, comme vous et moi. Il l’achète, le fait sécher, le trie et en fait des " carottes " de différents volumes. Le tout-venant, quoi. Il propose ensuite de la résine " d’hybrides ", plus chère (7 à 10 euros le gramme, excusez du peu). Faites excuse si j’demande pardon : on nous a mal expliqué les merveilles de ces hybrides et c’est sans doute tant mieux. Enfin, après petit traitement dans sa cabane-laboratoire, il met sur le marché des paquets de résine de cannabis. Organisé, le gnère !
" Ce temps est loin, Cinna… "
Sa réputation, soignée, peaufinée dirais-je, excellente, fait qu’un jour, elle parvient aux oreilles des enquêteurs. Perquises, interrogatoires, recherche de clients… Les limiers des forces de l’ordre finiront par se lasser très vite du côté répétitif. Au bout de quelque 84 personnes entendues, l’affaire l’est aussi, entendue : Jean-François inonde tout le Sud depuis 2010 environ.
Dans la foulée, les enquêteurs enchristent Marie-Gireine, l’épouse de Jean-François. Elle a travaillé un temps (" Ce temps est loin, Cinna… ") en qualité d’employée municipale puis a vite jugé plus rentable, voire plus logique de donner un coup de main à son trafiquant de bonhomme. Ce qui doit faire fructifier raisonnablement l’entreprise familiale.
Coup de main de taille d’ailleurs, puisque lorsqu’il est enfermé dans son labo, sinon en qualité de VRP sur le terrain, c’est elle qui reçoit la clientèle, livre les commandes et encaisse l’artiche.
Une naïveté confondante
Ce qui surprend, dans tout ce mic-mac agro-industriel, c’est l’apparente innocence des prévenus, leur manque flagrant de prudence. L’argent est versé sur un compte parfaitement établi sur lequel on retrouvera plus de 100.000 euros… au cas où ; des maisons (quatre) sont achetées pour être mises en location et leurs revenus déclarés au fisc ; les fabricants/trafiquants ont pignon sur rue ; leur adresse se transmet de bouche à oreille ; leurs numéros de portable sont communiqués à qui en veut ; leur fiston leur fait une pub d’enfer au lycée…
Il ne leur est jamais venu de se dire que des fois, si les condés avaient vent de quelque chose… non ! jamais, aux innocents les mains pleines : une maison au luxe insolent, une BMW, une Opel Zafira, une Peugeot 407. Aussi, la prochaine fois que vous désirerez bazarder votre Juvaquatre rouillée pour quelque chose de plus confortable, pensez à Jean-François ou " comment opérer une vraie diversification agricole rentable ". Je ne prêche nullement, là.
Pour faire bon poids, les Eliot Ness locaux gaulent aussi le frère de Jean-François et un pote de galère, appelons-le WZ, lesquels ont eu le malheur de vendre quelques plants de salade verdoyante au grossiste.
" Viens chez moi y’a du zam’ ! "
Devant les enquêteurs, les accusés reconnaissent tout et le reste, allant même jusqu’à avouer ce qu’on ne leur a jamais demandé. Exemple tordant : " Venez chez moi, messieurs, vous trouverez 500 plants de zamal dans ma basse-cour ". Le pire, c’est que c’était vrai.
Pour le principal accusé, il n’aurait acheté environ que pour 75.000 euros de ‘tites feuilles durant toutes ces années. Ce qui laisse dubitatif devant le nombre de maisons, de voitures de luxe et de voyages en métropole. Car J-F est un bon mari : trop pris par son métier, il paye des voyages à sa chère et tendre, avec 4.000 euros de menue monnaie d’argent de poche.
Chez lui, les enquêteurs ont retrouvé la balance (car il ne voulait pas léser ses clients et pesait ses produits au plus juste, ah mais !) On a retrouvé aussi environ 25.000 euros de fond de caisse, outre les 100.000 euros en banque.
Enseignante payée à coups de zamal !
Chez Rantanplan et Averell, on n’a rien retrouvé que leur misère quotidienne car il est avéré qu’ils ont cédé du zamal à J-F parce qu’ils étaient réellement pris à la gorge. Pour quelques centaines d’euros tout au plus. Moins que le bonhomme d’Aurère, en tout cas.
J-F a évoqué le fait qu’il « dépensait beaucoup pour les autres », sans plus de précision. Il a reconnu avoir su fidéliser sa clientèle dont une grande partie s’approvisionnait exclusivement chez lui depuis des années. La qualité du service, les relations de confiance, vous saisissez ? Il est jamais passé par HEC, ce gars, mais pour la pratique, il sait.
Au titre des gags, on notera que si J-F et bobonne faisaient donner des cours de rattrapage à leur fiston, l’enseignante était rémunérée en rouleaux, non pas de billets, mais de zamal. Il n’y a pas de petits bénéfices.
" WZ " a précisé que s’il avait du zam à la case, c’était pour ses volailles, comme le veut une tradition locale bien comprise. Et que s’il avait cédé à la tentation de vendre quelques-uns de ses 500 plants, c’était parce qu’il ne s’en sortait plus avec son emprunt immobilier. Notons que c’est le seul à avoir mené une vie professionnelle régulière, même si décousue et faite de 1.000 petits boulots qui ne lui accordent qu’une retraite minable, comme c’est souvent le cas.
Inventivité certaine pour les produits dérivés
Le procureur Genet n’a insisté que sur le cas de Jean-François, seul vrai professionnel de l’affaire, qui avait trouvé un moyen de vivre plus qu’à l’aise avec des revenus locatifs en sus de ceux du trafic. Il a souligné l’ingéniosité, l’inventivité de J-F dans la mise au point de produits dérivés juteux. Et de réclamer 5 ans dont 2 avec sursis pour le principal accusé et la confiscation des produits saisis ainsi que du compte en banque enviable des époux. Du sursis pour les autres.
Me Chung To Sang défendait un des comparses petites-mains, soulignant son rôle secondaire et l’erreur de parcours que cela fut pour un homme qui n’a au total que gagné 2 à 3.000 euros bon an mal an. Insistant sur le fait que son client est le seul à avoir " vraiment " travaillé au cours d’une existence plus que laborieuse et peu réconfortante.
Le zamal pour payer les impôts, fallait oser !
L’inventivité n’est pas du seul fait de J-F : le bâtonnier Georges-André Hoareau aussi ! Nous l’avons retrouvé comme on l’aime, solide, hargneux, tonitruante bête de scène, fumant des naseaux, affrontant l’adversaire mufle contre mufle, incisif et précis.
Disant en introduction que le zamal existait depuis avant que La Réunion n’existât, évoquant les soins aux cuisses des coqs de combat à grandes lampées de sirop de zamal, l’efficacité de la " salade " durant la crise du chikungunya et les gâteaux au zamal vendus sur les marchés forains… le bâtonnier a déclaré tout de go qu’il n’était pas question que le ministère de la Justice devienne une annexe de Bercy, le ministère des Finances, et se chargeât de la basse besogne consistant à faire rentrer coûte que coûte de l’argent dans les caisses de l’Etat.
" Vous n’êtes pas là pour enrichir les caisses de l’Etat ! " a-t-il lancé au tribunal quelque peu médusé, précisant que dans les sommes saisies chez les accusés… il y avait de l’argent venant de la CAF et non du zamal… à moins d’une confusion possible, qui sait !
Ironisant sur les " maloki ", corbeaux jaloux de la BMW de J-F, l’avocat a remarqué qu’au cours des débats, s’il a beaucoup été question d’argent… personne n’a parlé de la dangerosité de la drogue, douce ou pas.
Et terminé sa charge en précisant que l’argent du trafic avait servi à payer les impôts du couple " car leurs revenus locatifs étaient régulièrement déclarés ". Fallait oser.
Oui, maître, on l’entend bien, mais les revenus plus clandestins ; ils les déclaraient aussi ?
Total des courses : 5 ans de taule dont trois avec sursis pour J-F ; 9 mois avec sursis pour sa complice active ; 6 mois avec sursis pour les deux autres. Confiscation de 3.150 euros trouvés au domicile du couple ; confiscation des deux voitures ; confiscation, snif ! de 102.201 saisis sur leur compte en banque.
La charge du bâtonnier aura quand même servi à atténuer un peu le temps d’embastillage ferme de J-F.
Pendant qu’on cherche des poux aux zamaliens, les spécialistes des finances cherchent à rentabiliser le zamal en faveur de l’Etat lorsque viendra la dépénalisation, comme au Nevada. Comme l’alcool, le tabac ou le big mac !
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