L’être humain est-il de nos jours sur la voie suggérée par Socrate de « se connaître lui-même » ? Nous est-il possible d’atteindre ce but du fait d’une somme prodigieuse de connaissances sur le vivant pouvant être potentiellement réunies intellectuellement et intimement et singulièrement incarnée ? Deux champs de ces savoirs impersonnels (objectifs) et personnels (subjectifs), rassemblés par le ressenti et l’éprouvé par le prisme des sensations, devraient nous y conduire.
La réunion de ces savoirs symbiotiquement et physiologiquement interconnectés est le fruit d’une lente évolution de la vie que l’on qualifierait de lamarckienne et darwinienne pouvant être symbolisée par l’image de l’emboîtement d’innombrables poupées russes. Une multitude de découvertes transdisciplinaires micro et macro biologiques, éthologiques, psychologiques et sociologiques sont mise en évidence par de nombreux et talentueux chercheurs. Ce patrimoine de découvertes ne devrait pas faire courir le risque, dans notre quête d’élucider la complexité du vivant et de savoir ce que nous sommes, de privilégier tel savoir ou telle école de pensées. Autant dire que dans l’absolu le défi est gigantesque mais doit-on le considérer comme inatteignable ?
L’une des premières questions qui pourrait nous mobiliser vers une application de cette connaissance ressentie et éprouvée de SOI serait : Pourquoi l'homme en quête de lui-même a-t-il autant besoin d'un maître ? La réponse immédiate consisterait à dire qu'il est dans un état d'incomplétude ; que l'humanité est dans sa phase d'adolescence, comme le pense le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung qui nous sert souvent de guide - bien que nous incitant à ne pas le suivre. Il disait en effet souvent : « J’espère que personne ne deviendra jungien ! ». Les théories du psychanalyste suisse, éclairantes certes, n'expliquent pas tout néanmoins.
Nous pensons que réside dans l'esprit humain à la fois un besoin d'ordre - pouvant être potentiellement incarné par un « penseur guide », ou le risque d’une illusion est latent, et une propension stimulante - angoissante en même temps - vers la nouveauté. Cette dernière attitude nous livrerait à nous-même, - au risque de nous, y perdre -, dans un univers de stimulations nous en éloignant potentiellement de notre singularité : publicités, injonctions de tous ordres, compétitions, exploitations individuelle et intergroupes, etc.
Il résiderait aussi chez l’humain un besoin inné de justice selon les éthologues, voir David Premack ou le très médiatique Frans de Waal. C’est en fonction de cette recherche des « fondements naturel de l’éthique » que Jean-Pierre Changeux, s’appropriant ce sujet, l’aura extrait de l’idéologie. Ces travaux sur le sens moral inné, et ceux des économistes tels Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur - concernant l’étude des idéologies légitimant les inégalités économiques - devraient faire l’objet d’une attention particulière avant toute intervention anthropologique visant à décrire des comportements humains.
Le nouveau-né semble attiré d'autant plus facilement vers la nouveauté constamment perçue par ses yeux (et ses neurones miroirs) et ce qui est juste, perçu et analysé par des structures cérébrales du système limbique qui le renseignement sur l’aspect agréable ou désagréable de la perception. Et ce, tout en étant par ailleurs rassuré et sécurisé par son entourage. Avec cette perception schématiquement transposée, on pourrait dire du progrès de la pensée intellectuelle qu'il serait peut-être sous-tendu par l'apprentissage de la pensée qui doute et investigue plus en détail le réel : trouver une réponse à une question ne serait pas satisfaisant en soi pour un esprit ayant gardé sa curiosité « infantile », oscillant entre les besoins de sécurité et de nouveauté, scrutant l’agréable du désagréable. Le réel humain est si complexe qu’une réponse devrait entraîner une nouvelle question. Nous savons que les enfants, en accédant au langage, sont intarissables lorsqu’ils nous interpellent avec les questions du « Pourquoi ? ».
Si nos analyses avaient quelque fondement pertinent, ne faudrait-il pas développer la pensée relativiste, le plaisir de l'échange et l'acceptation de la contradiction dès l’école primaire, pour accéder aux nouveautés de la recherche humaniste et nos déterminismes comportementaux ? Soit, en quelque sorte, renouer avec la maïeutique de Socrate dès les premiers degrés de la scolarité, tout en sollicitant le sixième sens des enfants, ce « sen interne » des philosophes du sensible ? Ainsi les enfants s’introspecteraient-ils. Ils trouveraient les bons mots pour élucider les questions que pose la vie, celles que pose leur vie. Entendre dire par des adolescents : « Je n’ai pas demandé à venir au monde !» n’est pas si rare.
Assisterons-nous prochainement à des confrontations idéologiques et politiques apaisées ou, au contraire, aurons-nous le spectacle de ceux qui prétendent détenir la Vérité, et de fait la Bonne réponse, dans l'art de gouverner la cité ? En ce qui nous concerne, nous pensons à l'Art d'élever les enfants. Ne devrions-nous pas accompagner les parents qui le souhaitent à repenser l’éducation de leurs enfants ?
Les propositions de débats contradictoires dans des ateliers de parentalités que nous suggérons touchent à nos racines culturelles et à nos conceptions éducatives. Celles-ci furent fortement marquées jusqu’au siècle dernier par l'esprit méditerranéen (ou africain) patriarcal mais grandement battues en brèche ces trente dernières années par la contestation des femmes militantes.
La vie menacée et la face cachée de la santé
Deux configurations du contexte dans lequel nous vivons nous empêchent d’envisager le vivant de manière intelligible et ensembliste : 1) La disjonctions des savoirs sur l’humain ne nous permet pas d’envisager l’organisme dans son entier ; 2) L’infrastructure économique de nos sociétés de productions de biens matériels et de répartition inégalitaire et insupportable des profits, touchant l’immense majorité des terriens, ne favorise pas une pensée libérée qui se porterait uniquement et de façon désintéressée sur l’étude de la vie.
Une infime minorité d’entre nous vit au détriment d’une gigantesque majorité du reste de l’humanité. Cette réalité influence nos motivations et nos pensées, voir au chapitre 2 de l’ouvrage « La Grande Rupture » de Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur, un aperçu de ce contexte de « la violence des inégalités… et la légitimation, par exemple, de l’esclavage par Platon ainsi que sa définition aristocratique de la justice sociale ».
Dans ce double contexte structurant, nous devrions percevoir que nous vivons différentiellement une civilisation qui engendre : 1) une répression des émotions dès la vie intra-utérine, (voir Deepak Chopra, « La maternité, une aventure fabuleuse ») ; 2) une dissimulation et « normalisation » des sentiments par rapport à des conditionnements comportementaux (Norbert Elias les a décrits dans « La dynamique de l’Occident ») ; 3) une répression des données des sens qui nous amène à ne plus faire confiance à nos perceptions, (voir « L'erreur de Descartes d'Antonio Damasio) ; 4) une pathologisation de l’inconscient organique - que nous avons qualifié de « prodigieusement intelligent » - et la dévalorisation des rêves et de leur « rapt » interprétatif, (Frédéric Paulus 2000 et 2013), par l’école freudienne de psychanalyse. Notons que la tendance hégémonique de celle-ci a été décrite par le sociologue et directeur de recherche au CNRS Robert Castel dans « Le psychanalysme » (1976) ; 5) l'occultation relative des fonctions créatives de l'imaginaire et leur « institutionnalisation imaginaire », (Cornélius Castoriadis) ; 6) l’inhibition de l'instinct de fuite et de lutte en cas d’agression (selon Henri Laborit) ; 7) l'hypertrophie de la Raison lors du siècle des Lumières et de nos jours son effondrement relatif. Pardon pour cette énumération inquiétante non exhaustive qui aura mis de côté les nuisances écologiques, tous ces « syndromes » dissimulés générant une morbidité plus ou moins perceptible. Ils auraient favorisé l'émergence, dans ce contexte répressif, des théories pourvoyeuses de sens au détriment d'un certain travail d'une réflexion émancipante et individuante sur Soi. Nous ne saurions plus « à qui nous fier », risquant de suivre de trop près des « premiers de cordée » qui ne solliciteraient pas notre liberté de pensée. Existe aussi le parasitage de phénomènes de mode et d’imitation avec le phénomène d’adeptes de théories complotistes.
Par exemple, dans ce contexte, comment interpréter qu’un virus qui épargne pathogéniquement les enfants invalide autant les adultes à l’échelle de la planète ? Cette pandémie ne devrait-elle pas nous interpeller sur notre définition de la santé, sur nos conditions d’existence, au moment où nous sommes contraints d’être solidaires ?
Comment interpréter également que des sociétés dont le confort matériel est envié, ainsi au Japon et en Allemagne, aient un taux de natalité n’assurant pas la reproduction de ses membres, voir Lorenzi et Villemeur, 2021 ? Notre diagnostic est plus inquiétant que le panorama stimulant dressé par ces deux derniers auteurs du fait de la montée en puissance des données épigénétiques qui traduisent l’expression du génome pour le meilleur comme le… pire ! La vie sur terre est effectivement menacée, alors que la connaissance de SOI frappe à la porte de notre conscience, alors que nos enfants se posent la question du sens de leur vie, sans pouvoir ou sans oser la verbaliser... encore.
Frédéric Paulus, CEVOI, le 08/08/21
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