Après un récapitulatif de l’historique, un débat sur la validité du procès puis l’interrogation des prévenus, place ce vendredi aux plaidoiries des parties civiles, aux réquisitions de la procureure, Bérengère Prud’homme, et aux plaidoiries d’une partie des avocats de la défense.
"Si Philippe Savoye n’était pas à l’origine de l’escroquerie, il ne pouvait pas ne pas savoir"
La liste des réquisitions pour chaque prévenu était longue. Les peines demandées varient entre 6 mois et deux ans de sursis, souvent avec une interdiction de gérer de 3 à 5 ans, pour les prévenus ayant participé à la surfacturation ou aux fausses factures, et trois ans de sursis pour Jean Alain Fontaine et Fabrice Scano, "les auteurs principaux" de "ce système d’escroquerie". Tous pour escroquerie ou complicité d'escroquerie. Si la procureure reconnaît en effet leur part de responsabilité, elle affirme néanmoins qu’à la tête de ce système se trouvait Philippe Savoye, malheureusement décédé. Selon elle, malgré le fait qu’il se soit constitué partie civile dans cette affaire, "il ne peut pas être une victime" car "il a participé de façon consciente". "Si Philippe Savoye n’était pas à l’origine de l’escroquerie, il ne pouvait pas ne pas savoir".
Un rappel des faits
Tout a commencé en 2003, avec la loi Girardin. Celle-ci avait pour but d’inciter les particuliers métropolitains à investir dans les Doms, dont la Réunion, afin de booster leur développement économique. En investissant dans du matériel pour des entreprises réunionnaises, ces investisseurs pouvaient profiter d’une réduction d’impôts à hauteur de 50% de leur investissement. Parfois, l’avantage fiscal était supérieur à ce qu’ils avaient investi. On ne parlait donc pas de petits joueurs : chefs d’entreprises, chirurgiens, avocats… Ils étaient tous regroupés en SEP (société en participation) et SNC (société en nom collectif), gérées par la société SGI de Philippe Savoie qui avait recourt à son autre société RCI pour le montage des dossiers. Les investisseurs mettaient 30% du prix de location du matériel (une location sur 5 ans avant que les entreprises locataires réunionnaises n'acquièrent ce matériel).
À La Réunion, les locataires du matériel profitaient donc de ces investissements à hauteur de 30% et obtenaient le matériel en ne payant que 70% de la location. Pour cela, ils pouvaient utiliser leurs fonds propres ou faire appel à des prêts bancaires. Mais comment ne rien payer du tout ? En demandant aux fournisseurs de surfacturer le matériel pour que la contribution des 30% couvrent en fait 100% du prix réel du matériel. Les locataires et fournisseurs étaient donc gagnants. Autre escroquerie : des fausses factures de matériel qui n’existaient pas afin de faire gonfler un peu le trésorerie ; ce qui passait bien dans le dossier.
C’était le travail de SGI de vérifier, avec les douanes ou sur place, la livraison du matériel avant de débloquer les fonds des investisseurs. Chose qui n’a pas été faite. Si SGI affirme que c’était à l’apporteur d’affaire, Jean Alain Fontaine (aidé par Fabrice Scano), d’effectuer les vérifications. Ces derniers contestent. D’où la constitution de Philippe Savoye en tant que partie civile alors que les prévenus et les services fiscaux affirment que c’était lui qui avait tout orchestré. Philippe Savoye dit s’être fait avoir par Jean Alain Fontaine. "Impossible", selon la procureure. Elle conclue donc: les auteurs principaux sont les locataires et les fournisseurs et les complices sont les apporteurs d'affaires.
Autre avantage pour SGI dans ce système : la TVA à 8,5 % non perçue récupérable. C’est donc ce que Philippe Savoye réclamait aux services fiscaux lorsque l'investissement avait été effectué. Selon la procureure, il est pourtant l'auteur principal de cette deuxième mécanique concernant la TVA et les fournisseurs et locataires, des complices.
Qui sont les victimes ?
Nous avons donc les services fiscaux comme "victimes directes" selon la procureure, même s’ils n’ont pas perdu de temps pour récupérer la réduction d’impôts auxquels les investisseurs devaient avoir droit, mais aussi pour distribuer les amendes. Et SGI pouvait oublier la TVA non perçue récupérable. Les services fiscaux sont donc victimes, mais pas d’indemnisation nécessaire. "Ils sont même gagnants", ajoutent l'avocat des parties civiles, et donc de Philippe Savoye, Me Philippe Cosich.
En victimes indirectes, les investisseurs qui n’ont vu aucune réduction d’impôts et des amendes en plus de ça. Ils se doutent bien qu’ils ne reverront pas leurs 11 millions d’euros investis et 16 millions d’euros d’avantages fiscaux demandent "qu’on leur rendent justice" ; eux qui étaient "de bonne foi et dont l’argent circule dans l’économie réunionnaise aujourd’hui". Concernant Philippe Savoye, "on reproche à un homme de 71 ans de ne pas avoir vu ce qui était visible". Visible selon les services fiscaux "qui ont pourtant pris trois ans avant de signaler les irrégularités".
Avec le décès de l’instigateur supposé de cette fraude impressionnante, des victimes qui ont "laissé tomber" et une procédure juridique plus que décousue, ce procès laisse toujours un goût d’inachevé. Lundi, fin des plaidoiries des avocats de la défense et peut-être, fin du procès.